52 ans de représentation d’œuvre d’entraide
Pendant 52 ans, la CROE a œuvré à fournir des observateurs neutres lors des auditions d’asile. Ce rôle disparait avec la nouvelle loi d’asile au profit de juristes commis d’office dans les centres de requérants. Zoom sur l’histoire de ce mandat discret qui a garanti des procédures équitables à des centaines de milliers de réfugiés. Texte: Joelle Herren (agir 04/2020)
« C’est une boucle qui se clôt pour la CROE après plus de 50 ans d’activité. La Coordination des représentants des œuvres d’entraide de l’EPER a commencé son mandat d’observation neutre des auditions de personnes requérantes d’asile avec l’arrivée de boat peoples vietnamiens en 68. Elle s’achève avec celles des personnes réfugiées syriennes fuyant la guerre, elles aussi par la mer », témoigne Olivier Cosandey, en charge du programme pendant 17 ans. Entre temps, il y a eu plusieurs « vagues » de migration de différentes importances et provenances : Balkans, Irak, Afghanistan, Afrique, Erythrée, Sri Lanka, sans oublier les Printemps arabes. Grace à la CROE, des centaines de milliers de personnes requérant l’asile en Suisse ont eu droit à une ou un observateur neutre qui les a rassurés et a garanti que leur procédure se passait bien.
Seule constante, les demandes d’asile ne constituent jamais un choix, c’est un choix par défaut, un choix imposé.
Demander l’asile n’est jamais un choix
« L’activité de la CROE était tributaire de l’actualité suisse et internationale, poursuit Olivier Cosandey. C’était passionnant de voir les différentes phases migratoires d’un pays. En premier arrivaient les intellectuels et opposants au régime, ensuite les réfugiés de guerre, puis dans un troi-sième temps, les personnes avec des problèmes médicaux. Les demandes d’asile infondées selon les critères stricts de l’asile ont parfois fait du tort aux requérants remplissant les critères. Inversement, certaines situations de crise qui auraient justifié l’asile, comme le Darfour, n’ont pas amené de demande. Certains autres requérants – par exemple égyptiens, tunisiens, algériens ou colombiens – peu nombreux, répondaient clairement aux critères d’asile. Dans d’autres cas, comme pour l’Erythrée, c’est la mise en œuvre de la loi qui est devenue restrictive. Seule constante, les demandes d’asile ne constituent jamais un choix, c’est un choix par défaut, un choix imposé.
Un mandat défini par la loi
La représentation des œuvres d’entraide a démarré en 1968, pour garantir une procédure d’asile équitable suite à une décision du Conseil fédéral. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) soustraitait cette forme de protection procédurale à ses membres, dont l’EPER : une personne observatrice neutre (ROE) devait assister à la deuxième audition des personnes requérantes sur les motifs d’asile, lorsqu’elles exposaient les raisons qui les amenaient à demander la protection de la Suisse. C’était le gage que les interrogatoires menés par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) bénéficiaient d’un climat serein et respectueux lors de cette audition dont la décision positive dépend de la capacité des requérants à exposer leurs motifs et à les rendre vraisemblables. Les ROE intervenaient en cas de problèmes, pouvaient demander que l’on pose des questions ou signifier d’éventuelles objections au déroulement de la séance. Il fallait une bonne perspicacité pour comprendre les enjeux, et voir quelles questions pourraient aider le SEM à prendre la bonne décision. La CROE a contribué à les former régulièrement.
13 révisions d’asile en 39 ans
En Suisse, aucune loi n’a autant été révisée que celle sur l’asile. De la première, en 1981, à la dernière en date, il y a eu 13 révisions ! C’est dire si le sujet est délicat et objet de controverses. Le passage d’une procédure cantonale à une procédure fédérale en 2010 a marqué un grand tournant. Le nombre de coordinations est passé de 20 à cinq et l’EPER est devenue la plus grosse coordination de Suisse aux côtés de Caritas, l’Entraide juive et l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO), active sur Genève, Vallorbe, Berne, Zurich et St-Gall. C’était aussi le plus gros projet de l’EPER en Suisse ; il n’a cessé de prendre de l’importance avec les années avec un pic d’auditions en 2015, avec la « crise des migrants », où il y avait plus de 100 ROE.
Traitement des demandes résiduelles de l’ancienne procédure
Plusieurs fois remise en question lors des différentes révisions de l’asile, notamment celle de 2008, l’activité de la CROE s’est finalement maintenue jusqu’à la dernière révision de 2019 qui sonnera le glas de son activité. Désormais, toutes les demandes d’asile se font en présence d’une ou d’un représentant juridique d’une ONG suisse mandaté directement par le SEM pour représenter juridiquement les requérants dans les nouveaux centres de procédure. Dès le 1er mars 2019, l’EPER, seule à disposer d’une coordination bilingue, s’est vue mandatée pour gérer les quelque 4000 demandes antérieures à cette date restées en suspens.
ROE, une expérience marquante
Si cette professionnalisation a ses avantages, certains regrettent qu’il n’y ait plus d’œil extérieur indépendant lors des audi-tions. « La CROE permettait à la société civile d’avoir accès à la procédure d’asile. » Des milliers de ROE ont accompagné des centaines de milliers de personnes requérantes d’asile. Tous ces ROE, souvent étudiants, ont ainsi pu se confronter directement, par le biais des témoignages, à l’expérience de la migration forcée pour cause de guerre ou d’autres situations de détresse. Ce n’était pas une tâche facile, car il fallait pouvoir se laisser toucher par le récit sans entrer dans une détresse empathique pour pouvoir tenir le fil et poser les bonnes questions afin d’aider à mieux cerner une situation. « J’aime à penser que cette expérience, qui a marqué ces travailleuses et travailleurs de l’ombre, ait pu non seulement servir aux principaux protagonistes de ces auditions mais aussi avoir une influence positive sur les parcours des uns et des autres », conclut Olivier Cosandey